A la criée, ou à l’aide d’un mégaphone, des femmes, jeunes ou adultes, circulent vaillamment dans les quartiers comme dans les marchés. Certaines, enfants au dos, sous le soleil, espèrent écouler rapidement leurs marchandises. Une activité en plein essor au regard de la cherté des produits alimentaires et de la crise économique qui fragilise le budget des ménages.
Aux orties tabliers et casseroles, les femmes congolaises, jeunes filles et adultes, prennent d’assaut les artères et ruelles de la capitale en proposant une kyrielle de marchandises : pains, eau glacée, arachides grillés, ignames, tubercules courges cuits à la vapeur, jus de fruits, jus de bissap ou de gingembre, boucherie ambulante et restauration mobile. Et certaines proposent même des services de lessive rémunérés. La rue ne fait plus peur à la femme, elle lui appartient, elle y investit et s’en approprie, elle se féminise. «Le matin je vends aux puces et l’après-midi, je circule avec mes arachides grillées ou sucrées et quelques fruits que je vends en en fonction des saisons, et je m’en sors plutôt bien » révèle Mâ Gina Loulendo, la trentaine, mère de trois enfants.
« Cela fait cinq ans que je vends les poissons, cuisses de poulet dans les ruelles de mon quartier, cette année j’ai aussi initié ma sœur cadette » a laissé entendreMâJosé très appréciée dans les quartiers de Kinsoudi, Barrage et Kingouari au sud de Brazzaville. Elle se lance dans la rue alors que son bébé n’a que six mois vu que son mari se retrouve au chômage. « Difficile de joindre les deux bouts, c’est alors que j’ai décidé d’aller vendre au marché » a fait savoir ma José qui au bout de trois semaines en a eu marre des faibles recettes journalières.
Après moult réflexions, son bébé au dos, la cuvette sur la tête lourde de poissons, elle fait le tour des quartiers en surnommant les noms des poissons avec un humour propre à elle. Tout de suite, elle séduit les enfants qui la suivent gaiement dans les ruelles et bientôt les adultes tombent sous le charme et deviennent à la longue ses fidèles clientes. « Le secret c’est d’être inventive et aimable et l’avantage de ce business est que mes clientes sont servies chez elles » explique ma José, qui n’hésite pas à refiler certaines de ses recettes à ses clientes.« En sympathisant avec mes clientes, celles-ci me font confiance, ce qui fait que j’écoule rapidement ma marchandise et cela m’arrange vu que je n’ai pas de glacière pour la conservation » explique Ma José.
Si sa recette journalière est estimée à environ 10.000fcfa, ma José dédie cette victoire à son opiniâtreté et sa force de caractère. « Quand j’ai commencé mon activité les gens se moquaient de moi, certains ont même juré que je ne m’en sortirai pas. Mais grâce à cette activité, j’ai pu offrir un repas tous les jours à mes enfants » a fait savoir la commerçante. Une activité qui est de plus en plus répandue dans la ville, et à laquelle plusieurs clientes ont jeté leurs dévolus « Ça m’arrange, surtout les jours de pluie. Patauger dans la boue pour aller s’acheter un kilo de poisson, non merci, je suis servi à domicile » témoigne une clientèle dont la seule hantise est de tomber sur des produits avariés.
« Cependant, ce qui est pour l’achat des pains, je préfère aller en acheter dans les boulangeries que ceux vendues dans des brouettes ou bassine en plastique dans la mesure que les règles d’hygiène ne sont pas respectées ; les clients touchent, tripotent et reposent les pains, et pour couronner le tout, les mouches virevoltent autour» a indiqué la jeune femme qui applaudit le courage de ces vendeuses car dit-elle « Ce n’est pas une activité facile, car elles peuvent tomber sur des clientes qui hésitent, celles qui marchandent et finissent par ne pas acheter.Bref il faut avoir de la patience et s’armer de courage » a conclut cette dernière.
De son côté Suzette, mère de quatre filles, vendeuse de légumes en semaine au marché Plateau, ne se repose pas non plus sur ses lauriers, vu que le weekend, elle déambule dans les ruelles de son quartier en proposant ignames et arachides à la criée. «Je ne peux pas dire que c’est rose tous les jours, mais si je croise les bras comment vais-je nourrir ma famille » a fait savoir cette dernière en esquissant un faible sourire. Quand Stéphane, étudiant en deuxième année de lettres, habitué des repas ambulants de mère Louise, s’estime chanceux vu qu’il peut manger à crédit et solder sa dette une fois qu’il a des sous. « C’est aubaine car je n’ai pas le temps de faire la cuisine et cerise sur le gâteau, mon colocataire et moi pouvons payer plus tard.» a fait savoir Stéphane.
L’indépendance financière avant tout
De moins en moins terrées derrière leurs murs de leurs cocons, les femmes se lancent dans des activités peu importe du qu’en dira-t-on. Elles pensent avant tout à joindre les deux bouts, devenant ainsi des actrices au développement économique du Congo. Et même si leur quotidien n’est pas toujours rose, ces femmes se démêlent pour fructifier leur gain en adhérant à des ristournes, en épargnant de façon traditionnelle dans des établissements de microcrédits dans l’espoir d’un lendemain meilleur. Pourtant malgré tous ses efforts entrepris, beaucoup d’hommes sous-estiment encore leurs ambitions car la rue, chasse gardée des hommes pendant des années, (qui jadis vendaient de l’eau dans des sacs plastiques, proposé du café aux passants, vendaient des saucisses traditionnelles, et s’improvisaient parfois esthéticiens en offrant des soins de pédicure ou manucure), se féminise de plus en plus et a de quoi ses anciens occupants.