Le Congo pleure l’un de ses artistes les plus sincères et les plus lumineux. Achille Mouebo, le légendaire Roi du Mutenfo, s’est éteint, laissant derrière lui un héritage musical empreint de foi, de courage et de joie. Lauréat du Tam-Tam d’or et du Prix spécial du jury musique métisse à Mombo Beach (Owando, 2009), il fut bien plus qu’un chanteur : une voix du peuple, un cœur en mélodie, un esprit libre.
Le destin d’Achille Mouebo est celui d’un homme qui a fait de la douleur un instrument d’espérance. Né valide, il devient paralysé, à la suite d’une injection de quiniforme, administrée pour traiter le paludisme qu’il avait contracté. Cette tragédie, qui aurait pu briser bien des vies, a au contraire révélé en lui une force rare.
Moqué, marginalisé, il a choisi la musique pour s’exprimer, pour exister autrement, pour dire au monde que le handicap n’est pas une fatalité. De cette blessure est née une lumière, celle d’un artiste profondément humain, habité par une foi en la vie et en la beauté.
Artiste engagé, Achille Mouebo n’a jamais quitté la rue, les marchés, les familles, les églises, ces lieux où bat le cœur du Congo. Ses chansons racontent la vie telle qu’elle est : simple, dure parfois, mais toujours pleine de sens. De la morale à la solidarité, en passant par les dérives sociales ou les blessures familiales, il aborde tout avec sagesse et humour. << J’adore ses chansons, parce qu’elles conseillent et éduquent >>, confie une admiratrice.

C’est avec le Mutenfo, ce style qu’il a créé et incarné, qu’Achille Mouebo a marqué sa génération. Mutenfo, un mot qui signifie joie, ambiance, gaieté. Mais pour lui, ce n’était pas seulement une musique : c’était une manière d’être au monde. Une invitation à danser, à sourire malgré tout, à croire encore. <<Un chanteur ne doit pas se limiter, disait-il. Le Mutenfo, c’est à la fois un rythme, une danse et une philosophie de vie. >>
Son énergie, sa voix grave et son regard rieur faisaient de lui un artiste inimitable, à la fois moderne et profondément enraciné dans la culture congolaise.
Francis Cabrel, Lucky Dube, Pamelo Mouka, Angelino, Georges, Jacques Rapha Boutzienki… les influences d’Achille Mouebo témoignaient de son ouverture. Il passait du rock à la rumba, du zouk à la musique afro, avec la même aisance. Son duo Kiwissa ( entente) avec Jacques Rapha Boutzienki reste l’un des moments forts de sa carrière.
Une signature, une mémoire
Avec son foulard noué sur la tête, son jean et ses baskets, Achille Mouebo ne passait jamais inaperçu. Ce foulard, disait-il, était un hommage à son grand-père, celui qui l’avait élevé et lui avait transmis la dignité du geste simple. Cette image, familière et vraie, restera gravée dans la mémoire collective, celle d’un homme proche du peuple, authentique, sans artifice.
Artiste au grand cœur, Achille Mouebo n’a cessé de prôner l’unité et la paix. Ennemi du tribalisme et du régionalisme, il appelait sans relâche à une nation rassemblée.<< Nous devons abolir les barrières ethniques et ne former qu’un seul peuple >>, répétait il, s’inspirant de Mandela, son modèle de fraternité.
Carrière
Sa première chanson, << Satan m’a jalousé >>(1993), reste culte. Elle a propulsé ce jeune homme au regard déterminé sur le devant de la scène nationale. Après la guerre de 1997, il s’exile au Cameroun et enregistre Filiation (2001), un premier album salué par le public. Suivront : Vipère (2005), L’Invité (2007), Onésime (2009), Faux Prophète (2011), Crise morale en 2015, opus qui dénonce avec humour les dérives lors des veillées funèbres, transformant le rire en miroir social…
Aujourd’hui, sa voix continue de résonner sur les ondes et dans les cœurs. Ses chansons, mêlant rythme, foi et sagesse, traversent les générations. Les jeunes artistes du Congo le citent comme un modèle. Le Mutenfo, plus qu’un genre, est devenu un symbole : celui de la joie résistante, de la dignité debout.
Achille Mouebo n’est plus, mais le Roi du Mutenfo ne meurt pas vraiment. Il demeure dans chaque rire, chaque danse, chaque mélodie où la joie triomphe de la douleur.
Annette Kouamba Matondo





