Par l’honorable Blaise AMBETO, Député de la circonscription unique de Ngoko
Ndomba Jean-Jacques, Ndomba Géomètre, Ndomba Le géomètre. Quand on emploie le déterminant LE pour nommer cet artiste du ballon rond, on dit avec subtilité une chose nette. En effet, grammaticalement, le déterminant LE est utilisé pour signifier que le nom auquel il est associé est connu, individualisé à un haut degré. Tel fut Ndomba : un bien connu, un bien reconnu, un bien commun et national qui, au soir de sa carrière, a séjourné ailleurs avec son génie.
Aujourd’hui, sa mort est annoncée par plusieurs organes de presse à travers le monde : RFI, L’Equipe, Ouest-France, Sénénews, La Nouvelle République, etc. C’est tout dire ou presque. C’est bien connu que les grands auteurs sont auteurs d’un livre. Les grands footballeurs ont, eux, ce que les spécialistes appellent le match-référence.
Pour moi, s’agissant de Ndomba le Géomètre, il s’agit d’un match Congo-Zaire joué au Stade de la Révolution (devenu depuis Alphonse Massamba-Débat) le 8 avril 1979. Chacun peut désigner son match-référence. Ce jour-là, le temple du football congolais avait refusé du monde. Alors que les deux équipes avaient fait leur entrée sur le terrain, deux joueurs congolais, parmi les plus attendus, étaient restés dans les vestiaires. Il s’agissait des deux compères Tostao, porteur du maillot numéro 13, et Ndomba, avec le numéro14 au dos. Ils avaient rejoint l’aire du jeu quand devait commencer l’exécution des hymnes nationaux. Un joueur des Léopards du Zaire évoluant dans un club de Kinshasa montrait du doigt LE géomètre à un de ses coéquipiers venu de Lumbubashi. Le stade de la Révolution était en fusion et en ébullition.
Puis, pour confirmer tout le bien que les supporters congolais pensaient et attendaient d’eux, les deux joueurs décidaient de dire leur reconnaissance avec une action d’éclat. Sur une ouverture lumineuse de Tostao à l’entrée de la surface de réparation, LE Géomètre passait en revue la défense du Zaire. De l’axe de la surface de réparation, il allait à gauche, puis, d’un tir lifté et millimétré, il envoya le ballon dans le petit filet opposé. Somptueux. Une figure géométrique.
Pendant que se déroulait l’action, un supporter des Léopards, sur les grandins, pretait main forte aux défenseurs de son équipe par des gestes du pied. Voyant le but, il s’était écrié : <<L’enfant-là est un sorcier!>>.
Pour sa part, un inconditionnel des Diables Rouges congolais, envouté par l’ouvre d’art, avait pris les grillages du stade entre ses dents, comme pour les dévorer. L’ontologie de ce but permet de conclure que c’était de l’ordre de l’anthologie.
Expliquant l’histoire, le philosophe allemand Hegel disait que l’Esprit gouverne le monde. Dans cette action, l’Esprit gouvernait les pieds de Ndomba. Je ne peux en dire plus. C’était tout simplement beau. Or, le beau plait, il plait universellement, il plait sans justification.
Ndomba était une étoile. Pour preuve, le 31 mars 1985, dans un autre match mémorable, perdu par le Congo (2-5) au stade de la Révolution devant le Zaire, une étoile était consacrée : Santos Muntubile, un autre artiste du ballon rond, leader et métronome des Léopards. Il avait fait pâlir l’étoile Ndomba. Mais si Santos Muntubile était sorti de ce match avec l’auréole d’un grand joueur, c’est parce que son équipe avait battu une vraie équipe des Diables rouges. A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Ce jour-là, en effet, la victoire du Zaire était d’autant plus marquante qu’elle était obtenue dans le péril. Ndomba était en face. Le battre, qui plus est dans ses installations, avait donné du relief à la victoire. Si ce résultat du Zaire était obtenu, en cette année-là, devant la Centrafrique ou le Tchad, nul n’en parlerait aujourd’hui. Mais c’était l’équipe conduite par Ndomba, entourée d’autres valeurs sures, qui était battue.
Ndomba, c’était le dribbleur assermenté et certifié, dans une génération qui a compté nombre de joueurs talentueux. Je citerai Mbama, Mamounoubala et Makita-Football pour CARA; Tostao, Nkouka Matins, Wamba la José pour Diables Noirs; Wata pour Abeilles de Pointe-Noire; Kambou Chiquito et Poaty Mikey pour Cheminots; Lakou La boussole pour V. Club; Nkori Pagnol et Ebomoua pour Patronage; Kimbembé Akim pour Télésport. La liste est loin d’etre exhaustive. Okouo- Akaba, Tsienlantsiené, Moundane, Ngatsono et bien d’autres accompagnaient Le Géomètre dans l’Etoile du Congo, son club. Je me rends compte que j’ai vécu une des périodes les plus denses de football congolais.
Suivre à la radio un match auquel participait Ndomba, affectueusement appelé par le diminutif Géo, était un spectacle auditif de qualité. Djo Pambou, Laurent Botseké, André Ossoungou, Jean-Gilbert Foutou et autres ont gagné leurs galons de commentateurs chevronnés lors de ces nombreux matches où Ndomba apprivoisait le ballon. « Ndomba un, Ndomba deux, Ndomba trois », entendait-on en français mais aussi en kituba et en lingala, dans une comptabilité qui donnait à comprendre le nombre de dribbles esquissés et réussis, le nombre d’adversaires éliminés. Ce Ndomba-là, prolongement et ouvre achevée du footballeur amateur génial qu’il fut, était source de joie et de fierté. Pour distinguer Ndomba des autres, Djo Pambou avait une formule : <<Taper dans un ballon est une chose, savoir taper dans le ballon en est une autre. >>
Un bel hommage a été rendu à Ndomba vivant. L’école de football créée et installée à Ngania, district d’Ollombo, le général Mouagny, est dénommée <<Académie Ndomba le Géomètre>>. Le général avait justifié son choix : <<Ndomba, c’est simplement le meilleur de nos meilleurs footballeurs.>> Ndomba caressait le ballon avec tendresse; le ballon se laissait faire.
Le Géomètre a fini sa vie en étant proche de son ainé Tostao dont l’enfant était à son chevet, dans son lit de malade. La symbolique est forte. Les étoiles se reconnaissent et se respectent. Vive l’artiste!